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L'informatique libère l'humain

Du  minéral à la langue naturelle

Développements ultérieurs sur le langage.

Les sciences de la matière et même la biologie ne raisonnent pas directement en termes binaires. Mais l'organisation du magma ori-ginel en particules et en atomes est bien déjà une structuration, un système de coupures. Ils ne s'agit pas pour autant de bits à pro-prement parler, c'est-à-dire dans toute la pureté de leur universalité logique.

Cependant, plus on monte dans l'échelle des êtres naturels (miné-raux, végétaux, animaux), plus l'on voit le digital se dégager du magma analogique. Les neurones communiquent principalement de manière digitale au niveau des synapses. Comme on peut compter les neurones (entre dix et trente milliards pour un humain) et évaluer leurs débits binaires, il ne serait pas impossible théoriquement d'en déduire une puissance  dans des termes équivalents à ceux utilisés pour les calculateurs électroniques. Dans l'immédiat, cela n'a pas beaucoup de sens, car les structures et les modes de fonctionnement sont trop différents.

Biologie et neurologie nous renseignent aussi sur la vitesse de circulation des signaux à l'intérieur du corps. Ici, on est très loin de la vitesse de la lumière. Elles nous permettent aussi de mesurer le nombre de points que peut percevoir notre rétine, les limites de fréquence et de niveau sonore que nous permet l'audition.

Psychologie. L'âme incarnée dans le "carbone"

Par l'observation extérieure, la psychologie mesure nos capacités sensorielles, nos aptitudes au raisonnement. De là découlent des règles  d'ergonomie  et  des  structures qui s'appliquent aux systèmes

d'information extérieurs si l'on veut que nous puissions dialoguer avec eux. Biologie et psychologie nous donnent aussi de nombreux renseignements sur les limites des capacités animales en général et humaines en particulier. Les quantités de matière et d'énergie par bit semblent assez bien fixées au niveau biologique. Le cerveau descend à de très faibles niveaux matériels, qu'il faudrait comparer à ceux des circuits électroniques. Certains voient dans ces basses énergies  la possibilité d'une interaction entre l'esprit, perçu comme une sorte de champ, et le cerveau, par l'intermédiaire d'un certain nombre de points privilégiés, dits "micro-sites".

Limites psychologiques appréciables "de l'extérieur"

Citons notamment le fameux principe "7 plus ou moins 2". C'est la limite, assez élastique mais non moins universelle pour autant, du nombre d'objets que nous pouvons appréhender d'un coup. Au-delà, il faut procéder  à des regroupements. Ce principe fonctionne aussi bien pour la numération (la base 10 est à peine plus grande que 9 et s'est imposée par rapport à huit pour la raison évidente des doigts de la main) que pour le nombre de lettres dans un mot, etc.

Plus généralement, on a beaucoup parlé, dans les années 80, de la "rationalité limitée" de l'homme, sans d'ailleurs en donner beaucoup de mesures. On trouve quelques notions sur les temps minima d'apprentissage d'une fonction, par exemple. On pourrait même faire des mesures sur les vices et les péchés, qui sont une forme de limite de la rationalité. La criminalité affiche depuis toujours une régularité statistique impressionnante, n'évoluant que lentement, et relativement dépendante des milieux sociaux, par exemple. On a aussi tenté des mesures sur les groupes (sociométrie). Mais tout cela ne va pas très loin.

Et finalement, nous savons que notre vie n'a qu'une durée limitée, que pendant son cours, nous mettons plusieurs années à atteindre nos capacités maximales et que, dès les premiers jours, nos neu-rones commencent à mourir et ne sont pas remplacés, nos sens perdent leur acuité. De plus, à des degrés divers, nos capacités optimales  sont  limitées par la maladie, les accidents, les handicaps.

On pourrait aussi ranger au nombre de ces limites notre difficulté même à les admettre et donc notre recours irrationnel aux constructions et  explications universelles, infinies et rassurantes de la religion et plus généralement des mythes.

A ces limites en complexité s'ajoutent aussi des limites au degré de digitalisation que nous pouvons accepter. Les bits sont trop petits pour notre manipulation directe. Et surtout nous ne pouvons nous risquer, au-delà d'un certain degré, à laisser nos activités, nos rôles, les images que l'on a de nous, se décomposer trop finement ou trop fortement. Le "travail en miettes" nous détruit. Et la Bible emploie l'expression suggestive "Ils ont compté tous mes os" pour dire "Ils m'ont totalement annihilé".

Peut-on supprimer la zone de non-connaissance de soi ?

Peu à peu, la chimie du système nerveux nous fait remonter de plus en plus haut dans la hiérarchie des fonctions et la compréhension des mécanismes organiques de notre conscience. Dans le même temps, la psychologie progresse. La psychanalyse explore nos pro-fondeurs. La compréhension s'appuie aussi sur la simulation des fonctions psychologiques, qui est un des volets de la discipline appelée "intelligence artificielle".

Entre les deux explorations, l'une interne, l'autre externe, reste une frontière floue, une terra incognita où se réfugie ce qui reste. Pourrons-nous explorer totalement cet espace ? Certains l'espèrent, d'autres y voient la fin de l'homme. L'on se trouve ainsi conduit à une question fondamentale, pour l'instant non résolue : le réduc-tionnisme. L'esprit humain peut-il se réduire à un nombre fini de bits ou d'opérateurs ? Au fil des ans, les machines progressent et nous dépassent dans les secteurs les plus variés. Pour autant, nous restons largement inimitables, pour le meilleur et pour le pire.

Et qui prouve, d'ailleurs, que l'homme ne continue pas d'évoluer ? Les différences de poids entre notre cerveau et celui des premiers homo sapiens sont semble-t-il négligeables. Mais il n'est pas impossible  qu'il  y  ait  tout  de  même un  progrès. Et la découverte récente d'une multiplication possible des neurones après la naissance relance la spéculation, théorique au moins, sur l'avenir de la chimie du carbone dans le développement des systèmes d’information de l'avenir. Le bouclage a ses limites. Nous ne pouvons totalement fermer la boucle ni entre nos analyses biochimiques et psychologiques ni entre le caractère irrationnel de notre repro-duction par le désir et le coït, d'une part, et d'autre part notre volonté de prolonger la race humaine et de la faire évoluer vers le meilleur.

Structures. L’exemple du texte

Un certain nombre de groupements caractéristiques, une fois acquis, sont stables au fil des millénaires.  Les alphabets, par exemple, ont depuis longtemps stabilisé leur longueur, dans les pays occidentaux, leur nombre actuel de 25 caractères, à peu de chose près.  Dans les pays orientaux, les idéogrammes se comptent par milliers, avec l'avantage d'une expressivité plus forte de l'écrit, puisque chaque idéogramme représente un concept, mais en revanche avec l'énorme effort de mémoire nécessaire pour apprendre à lire et à écrire.

En Occident, les idéogrammes n'appartiennent pas à la langue, mais ils sont utilisés en pratique dans de nombreux domaines, en parti-culier la signalisation routière, qui leur donne d'ailleurs un statut légal. On en trouve aussi beaucoup dans la signalisation des locaux (sortie de secours, toilettes...).

Les scientifiques ont besoin, pour exprimer la complexité de leurs théories, d'une variété de symboles plus grande que le commun des mortels, et leur grand cerveau leur permet de s'y retrouver. Ils recourent notamment à l'alphabet grec. Les mathématiques se sont dotées d'un jeu, assez limité tout de même, de symboles spéciaux.

Rappelons aussi que, dans les années 60, on a vu quelques passion-nés de l'audiovisuel promouvoir un passage des alphabets aux idéogrammes, mais sans suite.

Le texte, au delà du jeu de caractères, s'organise en unités dons les longueurs ne sont pas arbitraires. Une page de livre ou un écran d'ordinateur ne peuvent contenir plus de quelques milliers de caractères (3 000 correspondent à une page déjà bien chargée, mais on peut aller jusqu'à 10 000 dans une encyclopédie, par exemple).  Les pages se groupent en livres, qui ne doivent pas être trop lourds pour qu'on puisse les manipuler. Si nécessaire, un grand ouvrage se décompose en tomes. Enfin, le plus grand ensemble de livres possible est la bibliothèque, avec quelques centaines ou quelques millions d'ouvrages.

D'importants travaux structurels et quantitatifs ont été consacrés au texte. On pourrait ici détailler largement ce qui concerne les images, données, programmes, etc. Malgré l’énorme développement de l’image d’un côté, des langages formels de l’autre, le texte en langue naturelle continue de constituer le cœur de l’âme digitale.

Par ailleurs, les limites psychologiques des individus sont une des raisons qui les poussent, que cela leur plaise ou non, à vivre en groupe.


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