Association Française des
Sciences et Technologies de l'Information

Hebdo
No 45. 1er octobre 2001

Sommaire : Trois questions à Dominique Potier, Thales | L'actualité de la semaine | La recherche en pratique| Enseignement | Théories et concepts | Le livre de la semaine |

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Trois questions à Dominique Potier

Group chief scientist Software technologies, Thales
"La moitié de notre effort de recherche est consacrée au logiciel"

Asti-Hebdo : Est-il possible de résumer en quelques questions les thèmes de recherche d'un groupe qui réalise un chiffre d'affaires de près de 9 milliards d'euros, pour l'essentiel dans le domaine des Stic ?

Dominique Potier : Laissez-moi d'abord poser les grands chiffres de la recherche et développement dans le groupe : ils représentent 22% du chiffre d'affaires, qui se répartit sur ses trois pôles d'activité : aéronautique (18%), défense (56%), Information technologies & services (IT&S, 26%).

Le développement des produits représente 80% de l'effort total de R&D et est pour l'essentiel réalisé complètement dans les différentes unités de ces trois pôles.

En amont du développement, la recherche de base (nouveaux principes, techniques de base, composants, mathématiques, algorithmique, technologies matérielles et logicielles) ainsi que les méthodes et ateliers d'ingénierie (système, matériel, logiciel) relève du Groupe (corporate) et sont menées par l'organisation Thales Research & Technologies (TRT) à laquelle j'appartiens.

Les résultats de la recherche se matérialisent par des validations technologiques, des brevets, des démonstrateurs et des prototypes, étape préalable au développement des produits. Dans cette frange, plus on se rapproche des démonstrateurs, plus les liaisons se renforcent entre la recherche Groupe et les unités concernées.

Pour accélérer le transfert de nos résultats vers l'aval, nous organisons un maillage de plus en plus serré de nos activités de recherche avec les activités de recherche et de développement internes aux unités. Ceci se traduit en particulier par la mise en place de laboratoires communs TRT/unités. Vers l'amont, une des vocations de notre structure est de renforcer l'adossement de notre groupe aux organismes de recherche publics par la création de laboratoires communs. Citons deux exemples déjà en place : une unité mixte avec le CNRS pour les supraconducteurs à haute température et un laboratoire commun avec le CNRS et l'UPMC Euronetlab pour les technologies IP. Ce cadre posé, on peut préciser que TRT emploie un peu plus de 600 personnes, réparties sur deux grands centres : Corbeville (près d'Orsay, 400 personnes) et Reading (Royaume Uni, 120 personnes). Nous projetons l'ouverture d'un troisième site aux Pays-Bas.

Hebdo Pouvez-vous tout de même dégager une tendance générale ?

D.P. : Oui : le logiciel prend de plus en plus d'importance. Il atteint aujourd'hui la moitié de notre effort global de R&D : 36% pour le logiciel au sens strict et 14 % pour l'ingénierie de systèmes. Ce dernier terme recouvre la conception générale des systèmes et leur intégration, mais aussi la méthodologie, la simulation, la validation.

Cette évolution marque fortement la recherche Groupe, qui, historiquement, s'incarnait pour une bonne part dans des sites plus "technologiques" : matériaux, hyperfréquences, etc.

Hebdo : Le logiciel est un vaste domaine. Plus précisément, quelles sont vos priorités pour la recherche Groupe ?

D.P. : Le Groupe s'est donné cinq grandes priorités.

Migration sous technologie Internet. Nous entendons faire évoluer vers le web tous nos systèmes de communication, toutes nos architectures C2 (Command and control). Cet objectif technique répond à des problèmes fonctionnels d'interopérabilité et de standardisation. Nous voulons homogénéiser des choix qui souvent étaient propres au Groupe ou à ses clients et s'appuyaient sur des solutions propriétaires. La vision "société de l'information" doit se décliner sur tous nos systèmes et à tous les niveaux.

Notons trois sous-thèmes importants : la qualité de service, une forte mobilité/reconfigurabilité, la sécurité. Le tout dans des contextes radio (wireless), avec les caractéristiques propres aux réseaux militaires : discrétion, robustesse, etc. Il s'agit de thèmes de recherche, à caractère fortement dual, qui doivent préfigurer les évolutions futures de l'Internet et ont des retombées dans les trois pôles d'activités du Groupe et particulièrement le pôle IT&S, par exemple pour les systèmes de transactions électroniques.

Sur sur ces sujets que nous avons créé l' EuronetLab, avec le Lip6, laboratoire mixte CNRS et Université Pierre et Marie Curie (UPMC), et une start-up issue de notre groupe, 6Wind, spécialisée dans les équipements de bordure (edge routers) et la technologie IPV6. Je voudrais enfin ajouter que, pour ce thème comme pour les suivants, les réseaux nationaux de recherche, RNRT, RNTL, RIAMM, et les projets européens comme Eureka Itea sont pour nous des instruments essentiels de structuration et de soutien de la recherche technologique. Nous participons étroitement à ces actions, tant pour la définition de leurs orientations techniques et de leur fonctionnement que dans la réalisation de projets.

Architecture logicielle des systèmes C2. Nous devons migrer complètement vers des architectures à base de composants. Nous voulons aussi formaliser davantage le niveau de spécification de ces systèmes, pour atteindre partiellement ou totalement la génération automatique de code. Concrètement, cela prend par exemple forme d'extensions spécialisées d'UML, par exemple un UML de l'ATM (Air traffic management, c'est-à-dire contrôle aérien). A terme, l'objet de référence dans ces projets ne sera plus le code, mais la spécification elle-même.

Ce point se décline aussi au niveau du middleware, pour le déploiement des applications comme pour la diffusion des informations aux utilisateurs. Nous standardisons ces composants sur les bases de l'OMG, autour du modèle Corba mais aussi, au niveau applicatif, sur un nouveau standard, le MDA (Model driven architecture). Nous contribuons de façon croissante à l'OMG, tant pour nous aligner sur les standards que pour les faire évoluer.

Il s'agit de thèmes sur lesquels la recherche publique française est active, particulièrement dans le cadre RNTL, et nous allons développer nos coopérations avec ces équipes (LIFL, Inria, etc.) ainsi qu'avec leurs homologues européens.

Traitement du signal. Deux domaines importants de recherche, ici. D'une part le traitement à la vitesse du flot des informations venant de senseurs (sonars, radars, satellites) à fort débit : le problème technique est de faire du HPC (high performance computing) pour le temps réel. D'autre part, en aval de ces traitements, la fusion de données venant de capteurs (sensor data fusion) qui pose d'intéressants problèmes de mathématiques appliquées (probabilités/ statistiques). sur ces thèmes de l'algorithmique de signal, nos collaborations et échanges avec la communauté scientifique se font largement au sein du Gretsi/CNRS.

Nous voulons nous doter d'ateliers adaptés qui puissent gérer l'ensemble de la conception d'une application de traitement de signal depuis le niveau de la modélisation de chaînes algorithmiques jusqu'à l'implantation sur une machine multi-processeur. En particulier, il faut pouvoir modéliser les flots de traitement et de données, puis les "mapper" sur des structures parallèles et, enfin, avec l'aide plus ou moins importante d'outils, simuler les performances et, si elles sont suffisantes, générer ou re-générer le code à partir des spécifications. Nous nous appuyons ici sur la technologie Ptolemy, développée à Berkeley et disponible en open-source. Elle fournit à la fois les outils, les modèles et les concepts de base. Nous coopérons avec Berkeley et Supelec sur les évolutions de cette technologie.

Logiciel intelligent, c'est-à-dire réalisation de fonctions non-triviales. Le travail s'oriente ici selon deux axes. D'une part l'optimisation/planification. Nos équipes du centre de Corbeville, mathématiciens et informaticiens, développent, en liaison avec l'Inria et la communauté internationale, des techniques à base de programmation par contraintes, avec des exigences particulières venant du temps réel. Nous voulons pouvoir produire une solution à tout moment, même si elle est imparfaite, plutôt que de rester sans réponse pendant dix minutes.

La communication homme-machine constitue l'autre axe. Nous travaillons par exemple sur le dialogue vocal pour les systèmes d'entraînement au pilotage des véhicules terrestres. En effet, la charge de suivi est lourde pour les instructeurs, et nous espérons ainsi la réduire. Nous coopérons ici avec le Limsi et l'Inria-Lorraine.

Un autre aspect important du thème communication homme-machine est le filtrage et l'extration d'informations (documents audio et texte).

Génie logiciel. Cette dernière priorité est transversale à tout le groupe et tous les domaines de développement. La mission est ici à de fournir à nos 7000 ingénieurs logiciel les outils, les méthodes et les formations dont ils ont besoin, tant pour la productivité que pour l'homogénéité que pour la qualité de leurs développements. Les outils sont dans leur quasi-totalité ceux du marché, le rôle des équipes de TRT étant de les sélectionner, qualifier et si nécessaire paramétriser et adapter pour assurer la cohérence d'ensemble.

En termes de standard de qualité, je précise que plus de 60% (respectivement 30%) des équipes logicielles du Groupe sont évaluées au niveau 2 (resp. niveau 3) du SEI SW-CMM (Capability maturity model for software) par les évaluateurs certifiés du SEI (Software engineering institute).


L'actualité de la semaine

Delis : bilan sévère sur la protection des données privées en France

La grande presse a largement parlé des NTIC à propos des massacres du 11 septembre. Nos techniques jouent-elles pour ou contre les libertés, pour ou contre la sécurité... pour l'instant rien ne se dégage clairement. Dans Le Monde Informatique du 21 septembre, François Jeanne rapproche l'évenement de la démonstration très médiatisée de télé-opération et conclut "Pour que nos technologies se dédouanent (...de ne servir que la Bourse et les pays riches,) il faudra que la prochaine opération sauve un malade à Kaboul... depuis New-York".

En attendant, la protection des libertés passe au second plan, tout particulièrement en France. Le collectif d'associations Delis, auquel l'Asti participe par l'intermédiaire de l'AILF, vient de publier un bilan sévère de l'usage fait des données privé en France. Dans son rapport, elle parle de "texte flasque pour une protection molle" et de "quadrillage administratif d'Internet".


La recherche en pratique

Revalorisation de l'allocation de recherche

Le ministre de la Recherche a annoncé une revalorisation de 5,5% du montant de l’allocation de recherche, Elle s'élèvera à 7800 francs bruts mensuels et, pour les thésards en charge d’un monitorat, à 10 000 francs bruts mensuels.

Tonifier les congrès avec des conférenciers internationaux

L'IEEE et plus particulièrement la Computer society, représentée par son chapitre français gère un programme étoffé de déplacements d'intervenants, le DVP (Distinguished visitor program), qui lui permet de faire appel à des spécialistes de niveau international et finance en partie leur déplacement. On peut à ce sujet s'adresser à Christophe Cérin.

Enseignement

Enseignement des sciences

Jean-Pierre Demailly, professeur à l'université de Grenoble I et membre correspondant de l'Académie des sciences a remis au début du mois d'août un rapport sur l'enseignement des sciences et sur l'environnement de travail des enseignants et enseignants-chercheurs. Très critique ! Parmi les remèdes proposés... le recours aux logiciels libres.

E-formation

Le Quotidien des relations humaines (FT Press) signale que FFFOD (Forum français pour la formation ouverte et à distance) vient de mettre en ligne une synthèse très fournie de ses rencontres d'avril dernier :
La synthèse
Le site du FFFOD
Le site d'Algora (ex Oravep).

Le même quotidien donne d'autres pointeurs à propos de la seconde édition de la convention d'affaires européenne destinée aux TIC au service de la formation : le M@T, organisé par le groupe Adhésion, qui vient de se terminer à Deauville. Les pointeurs :
M@T
Le groupe Adhésion
Eifel
Docent
Saba
/BJ Interactive/Click2learn.

De son côté, la Diffusion Paris 7 indique que Renater publie des éléments sur vidéo et visioconférence et qu'Algora invite à participer à une enquête sur la Eformation.


Théories et concepts

Comment faire mentir les nombres

Statisticien chevronné, économiste, informaticien, Michel Volle vient de publier sur son site personnel une étude sur l'esprit critique qu'il faut appliquer aux données chiffrées.

De la PSA au SPO

La montée des services informatiques et la difficulté de les gérer, tant dans les SSII que dans les services informatiques des grandes entreprises et même les laboratoires, a conduit une dizaine de firmes à proposer des logiciels de PSA (Professional services automation). Ce sigle trompeur désigne en fait une gestion globale de projets, par mise en correspondance d'une base de "ressources" (en pratique, les chercheurs ou ingénieurs) et d'une base de projets. Après une montée en flèche, ce marché se cherche un second souffle à un moment difficile. Le Gartner Group, qui considère la crise du PSA comme temporaire, propose un sigle mieux adapté : le SPO (Service process optimization). Ces évolutions ont été présentées par la firme Augeo à l'occasion de la conférence qu'elle vient d'organiser à Genève pour ses utilisateurs.

Le livre de la semaine

Pi-calcul, une base de référence

Le Pi-calcul est un langage de description et d'analyse des réseaux mobiles, au sens le plus général du terme. "Les entités les plus simples du Pi-calcul sont les names. On peut les considérer comme le nom de liaisons de communication. Les processus utilisent les noms pour interagir et se passent entre eux des noms par le simple fait de les mentionner dans leurs interactions". Ce formalisme abstrait, né il y a dix ans, est on ne peut plus d'actualité au moment où l'UMTS (et ses déboires) est au coeur de l'actualité technologique.

Cet ouvrage fait le point en 580 grandes pages.Après un rappel des bases du Pi-calcul, il en présente l'état de l'art, sans prétendre être définitif, étant donné l'activité de la recherche dans le domaine. Principaux chapitres : Bases et variétés du Pi-calcul, Pi-calcul typés, raisonnements sur les processus à l'aide de types, paradigmes de hauts niveaux, fonctions en tant que processus (relations avec le lambda-calcul), objets et pi-calcul.

The Pi-calculus, a theory of mobile processes, par Davide Sangiorgi et David Walker. Cambridge university press.


L'équipe ASTI-HEBDO : Directeur de la publication : Jean-Paul Haton. Rédacteur en chef : Pierre Berger. Chef de rubrique : Mireille Boris. ASTI-HEBDO est diffusé par FTPresse.