Cybersexe. Les connections dangereuses, par Fulvio Caccia (Arléa, Paris, 1995)

Avec l'autorisation de l'auteur, nous reproduisons ici l'introduction et le récit des deux épisodes médiatiques qui lancèrent le concept de cybersexe.

Introduction

Cybersexe : coup médiatique ou seconde révolution sexuelle ? Lorsqu'en juin 93 des reportages sur ce sujet comencent à fleurir dans la presse d'outre-Manche, mon opinion est faite. Il est difficile de ne pas voir dans cette panoplie aux turgescences électroniques, complaisamment offertes à la concupiscence des lecteurs, autre chose qu'une astucieuse opération publicitaire. Chargé, à l'époque, de l'observation de la presse étrangère auprès de Globe Hebdo, j'en signale néammoins la présence à ma rédaction qui, qulques mois plus tard, devait consacrer au cybersexe sa page de couverture. Entre temps, le "coup de pub" était devenu réalité.

Ce livre se propose donc d'en retracer les enjeux au-delà des effets de mode. Surgit ainsi le premier obstacle : si un etel sujet est taillé sur mesure pour la presse magazine, en revanche, il reste réfractaire au livre. Les Américains eux-mêmes, en dépit de leur avance technologique et leur proverbial appétit pour le scoop, ne lui ont consacré jusqu'ici que de rares ouvrages, d'ailleurs conçus comme des modes d'emploi. Pourquoi ? D'abord parce que la technologie qui nous permettra de faire ces galipettes électroniques est encore rudimentaire et peu accessible. Et puis le cybersexe fait sourire : il accole à la plus brûlante intimité humaine l'espace glacé de la science-fiction.

En serions-nous déjà arivés là ? Le sexe cool des décennies précédentes n'aurait-il été qu'une préfiguration du sexe cyber et les années sida un intermède qui l'aurait préparé ? Et si c'était, justemnt, la surprenante ironie de la cybersexualité : démontrer, sous une forme carnavalesque, mass-médiatique, ce qu'en notre for intérieur nous savons tous depuis belle lurette sans jamais nous l'avouer : il n'y a pas de rapports sexuels (Jacques Lacan, Séminaire XX, Encore. Le Seuil, 1972).

Lorsque, il y a vingt ans, le psychanalysgte Jacques Lacan jetait cette injonction en pâture à une opinition infatuée par la libération des moeurs, il ne se doutait pas que le langage numérique allait se charger de lui donner raison. Comment ? En mettant à nu l'inexorable logique du désir. Sa séquentialité. C'est ce qu'avaient déjà compris les premiers libertins. A cet égard on pourrait Les liaisons dangereuses comme une axiomatique de la séduction. Le récent engouement cinématographique dont a fait l'objet le chef-d'oeuvre de Laclos trouve là son explication : Valmont est notre contemporain parce qu'il anticipe -déjà- cette mise à distance de la sexualité, qui est le propre du cybersexe come de toute méditaion, van qu'elle ne bascule vers l'aliénation. Valmont, héros puis victime consentante du cybersexe ? L'affirmation n'est pas aussi incongrue qu'il n'y paraît ; encore faut-il essayer de démonter cette mécanique qui nous relie à l'origine de notre modernité et, par-delà, à cette trame d'images et de représentations qui accompagne l'homme en son devenir et qui se reconfigure à chaque pensée technologique.

Il existe aujourd'hui une belle unanimité chez les observateurs pour dénoncer les dérapages d'une société succombant aux sirènes de la communication intégrale. Que ce soit pour mettre en garde contre "la tentation pornographique" contenue ans ses valeurs de transparence (Philippe Breton), s'interroger sur l'abolition de "la dualité" induite par l'écran d'ordinateur (Jean Baudrillard), annoncer une disqualificion de l'homme au profit de la machine de vision (Paul Virilio), ou admettre encore que la confrontation entre le"non lieu et le corps eset le noeu du problème du viertuel" (Philippe Quéau) - "car là où il n'y a pas de corps il n'y a pas d'âme" (Régis Debray). Tous ces commentaires nous invitent à donner au cybersexe le staut d'un véritable objet d'étude (Voir égalemnt l'intéressant article de Johanna Jarvinen in Societés, no 46, Paris, 1994). Encore faudra-t-il le dégager du cyberspace dont il procède.

La méthode est simple. Elle tient à la fois de la médiologie anticiée par Marshall McLuhan et théorisée par Régis Debray et de la mythanalyse chère à Denis de Rougemnet et poursuivie, à sa manière, par Jean Baudrillard. Elle consiste à remonter les fils qui rattachent le cybersexe

Chapitre I. Au commencement était le cyberspace

... En France, et dans l'ensemble de la francophonie, ce terme (cybersapce) ne semble pas jouir d ela même fortune (que dans le monde anglosaxon). On lui préfère le ludique pluriel "multimédia"... Argutie sémantique ? Pas sûr. Cette différence lexicale ne départage pas seulemnet deux conceptions politiques, deux sensibilités dont l'une pourrai être qualifiée de latine et l'autre de septentrionale. Elle détermine deux manière d'apprécdier le fantaisies sexuelles induites par les nouvelles technologies. L'une, axée sur le pluralisme luique, nous renvoie du côté de Dyonions. L'autre, privilégiant la maîtrise, l'anticipation,nous conduit vers Apollon. Le cybersexe n'échappe pas à l'influence de cette double polarité que Nietzche a théorise dns son essai sur la naissance de la tragédie.

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Il n'est pas indifférent que le cybersexe ait incubé en Californie, cet Extrême-Occident, laboratoire de notre post-modernité où les utopies de la Silicon Valley ne sont jamais très éloignes des séductions de Hollywood ou desoripeaux de Haigh Ashbury.

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Et puis vint le cybersexe

C'est ce milieu techno particulièrement effervescent qui, en février 1993, sert de rampe au lancement du cybersexe. Le "gouvernement du sexe", comme l'indique son étymologie, est mis en orbite par le biais de Future Sex, un mensuel consacré aux nouvelles formes de sexualité induites par la réalité virtuelle. Sa mise en orbite est fulgurante. Et pour cause. Sur la couverture du deuxième numéro, un joyeux couple en string et en bikini, dûment casqué et ganté, s'adonne au plaisir de l' "amour digital" par console interposée. A l'intérieur, on nous précise que leurs maillots sont taillés dans du Ninitol simskin, un tissu synthétique qui -comme son nom l'indique- offre le même "toucher" que la peau. Le rste de la panoplie est composée du fameux data glove - le gant à retour tactile-, du casque de visualisation, doté d'écrans à cristaux liquides stéréoscopiques, d'écouteurs stéréotéléphoniques, de ocnsoles de contrôle et d'units G spcialemnte conçues pour stimuler les zones érogènes de l'homme.

Ces maquettes, bien sûr, ne son que des truquages, ce que ne cherchent nullemnet à cacher, d'ailleurs, les deux instigateurs de l'opération, Lisa Palac -agitatrice post-féministe- et Mike Saienz -producteur et dessinateur de BD. Le public, lui, n'y voit que du feu. Du jour au lendeman, Lisa Palac est sacrée reine du cybersexe. Radios, journaux et fanzines, télé et, bien sûr, réseaux on line, s'emparent du sujet. On en discute ouvertement jusque dans les talk shows de Joan Rivers et de Larry King, le plus fameux présentateur de CNN. Et personne ne trouve rien à redire lorsque le New York Times vante ses vertus : "Bien sûr, ps besoin de faire la conversation avnat, pendant et après. Pas la peine, non plus, le matin, de préparer le petit déjeuner, ni d'appeler un taxi."

Si c'était possible, explique l'hebdomadaire italien L'Espresso, vingt pour cent des Américains seraient prêts à acheter la panoplie vantée par le magazine Future Sex. Al'instar du héros du film de Woody Allen, Woody et les robots, qui assiste, étonné, à une séance dans l'Organstrom, des milliers d'Américains rêvent ainsi de résoudre grâce à la cybernétique le frustrations érotiques des années sida.Car dans le monde virtuel tout est posible, nous dit-on : partouze avec Sharon Stone ou Silvester Stallone ; séance de "bondage" ou de SM avec le -ou la- partenaire à dix mille kilomètres de distance ; rapports gays, lesbiens ou biseuels avec tout le monde et n'import qui. Rien d'étonnant, donc, à ce que la société Reactor, de Mike Saienz, ait été assaillie de centaines de coups de téléphone par jour : on voulait savoir quand les prototypes expérimentaux seraient commercialisés.

Une "première à Paris

En Europe, le phénomène a été plus lent à s"imposer.

La Grande-Bretagne enregistre l'onde de choc dès juin de la même année, relayée par le magazine ID, qui fait son miel des sociostyles les plus déments de la planète. En novembr 1993, cest au tour des Allemands de fantasmer cybernétiquemnt sur Marylin, dont le visage, numérisé, apprîat en couverture du très sérieux Spiegel. Les Italiens, toujours frians des choses du sexe, sont mis au parfum, un mois plus tard, grâce à un reportage de L'Espresso annoncé lui aussi en couverture. Durant la même période, des photo-reportages - dans L'Echo des Savanes et Actuel - donnent également aux Français un avant-goût de l'amour numérique.

Mais le véritable "événemnet" a lieu le 10 décembre, à Paris : il s'agit de la première démonstration mondiale de sexualité virtuelle en direct. En six mois, le cybersexe -monté en épingle, à grand coups de pub, par Lisa Palac e son complice - a fait le tour de la planète. Il dvient "réalité" ! Les coupables ? L'Américain Kirk Woolford et le Norvéien Stahl Stenslie, cofondaturs de Cyber SM, la bien nommée, une entreprise spécialisée en technologie de pointe qui a son siège à Cologne. L'expérience, quant à elle, a lieu non pas à Pigalle mais avenue George V, à l'espace Avenure, où le curieux tandem, invité par l'équipe d'Actuel, a dployé ses batteries lourdes.

D'abord deux combinaisons "à sensations" : un dispositif bourré de biosenseurs sanglés sur les zones érotiques, les amants virtuels sont prêts à entamer les prolégomènes amoureux. Leur unique lien consiste en une simmple ligne téléphonique de type Numéris. A chaque extrémité, un micro-ordinateur avec un programme approprié - intitulé Cybersex bien sûr - coordibbe ce curieux ballet érotique. Empêtrés dans leurs câbles et leur accoutremnet, les amants peuvente néammoins attiser leurs désirs grpace à un écran divisé en une quinzaine de fenêtres permettant de visualiser le corps du partenaire - dans la pièce à côté aussibien qu'à six cent kilomètres de là. Rien n'empêche, d'ailleurs, de se choisir un corps à sa mesure pour y promener l'aiguillon de la souris. Et oui, pas de plaisir sans cet indispensable objet de l'environnement informaique. Un simple déclic et aussitôt, sur l'écran, s'affiche en détail la partie du corps que l'on a envie d'exciter chez son partenaire. A coup d'impulsions électriques - entre trois et de mi et quarante-neuf volts-, les amans d'un soir, derrière le représentation virtuelle que leur donne l'écran, essaient de se représenter le plus exactement possible le corps de leur partenaire. Le micro qui les relie les aide à vérifier l'efficacité et l'intensité de leurs caresses. Des douleur aiguës ne sont pas rares car les erreurs de manipulation peuvent provoquer autoflagellations involontaire ou autres supplices technologiques.

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Mais les trépignemnets de la foule nous ramènent à l'actualité : en effet, cette expérience n'aurait pas atteint son but sans la présence de spectateurs qui, en direcdt, assistent l'événemnet grâce à un écran géant installé dans une salle attenante.

Bibliographie

Voici les deux seuls ouvrages signalés qui sont direcement reliés au thème, les autres traitant soit de l'informatique en général, soit de la pornographie.

Horwart Jim. Internet voyeur, le guide du chasseur d'images. Sybex 1995
Rimmer Steve. Internet underground. Sybex 1995