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sciences et technologies de l'information


Stic-Hebdo

No 12. 29 mars 2004

Sommaire : Cinq questions à Laurent Kott (Inria) | L'actualité de la semaine | Théories et concepts | La recherche en pratique | Manifestations | Le livre de la semaine

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"Il faut se dire que la gestion des moyens investis dans la recherche, et le retour qui est attendu de cet investissement n'a rien à voir à ce qu'on en attendait il y a vingt ans ou cinquante ans. Et l'on ne reviendra pas en arrière. "

Cinq questions à Laurent Kott

Délégué général au transfert technologique (Inria)

Stic-hebdo : Vous avec inauguré jeudi dernier un centre de compétences Java embarqué créé par Texas Instruments sur la technopôle Rennes Atalante. Comment s'est élaborée cette coopération ?

Laurent Kott : Elle a commencé doucement, il y a quelque cinq ans, entre l'équipe de Michel Banatre et celle du centre de R&D de l'industriel à Villeneuve-Loubet (près de Nice). D'excellentes relations personnelles se sont établies entre les partenaires. Le constructeur a compris qu'il avait affaire à des gens sérieux, qui ne cherchaient pas un peu d'argent pour faire survivre leur laboratoire, mais qui voulaient vraiment que leurs recherches trouvent un débouché. Pendant trois ans, la coopération a permis de mieux se connaître et de comprendre les compétences des uns et des autres. A partir de là, ils ont pu fixer des objectifs, définir le point où l'industriel pourrait vraiment disposer d'une technologie significative, capable de faire la différence sur le marché des circuits électroniques pour les fournisseurs de terminaux portables, un marché important où Texas Instrument est leader.

S.H. : N'est-ce pas faire cadeau de recherches françaises à l'industrie américaine ?

L.K. Disons d'abord que la coopération s'est établie avec une équipe française du constructeur (en France depuis 1961) , et qu'elle n'est donc pas sans retombée sur nos économies locales.

Mais, plus généralement, pour notre visibilité sinon même pour notre survie au meilleur niveau scientifique, nous devons travailler avec les meilleurs partenaires possibles. Et dans ce secteur particulier, le meilleur, c'est Texas. On pourrait évidemment préférer que le leader mondial du circuit intégré pour la téléphonie mobile soit français. Mais ce n'est pas le cas.

Il faut de plus prendre conscience que le constructeur a lui aussi pris un risque. Il a fait confiance. Il a financé un nombre non négligeable de thèses, il a investi du temps, il a impliqué ses clients...

Il faut que nous sortions de cette logique traditionnelle, héritée des arsenaux, où l'entreprise fait toute la recherche nécessaire pour ses produits et n'utilise que ses propres recherches. Aujourd'hui, aucune entreprise, aucun pays, aucun territoire ne peut raisonner ainsi.

S.H. : Techniquement, sur quoi porte la coopération ?

L.K. Spécialistes de l'informatique distribuée, nos chercheurs avaient compris qu'il y aurait de plus en plus de multiprocesseurs dans les objets embarqués. Cela peut sembler surprenant de parler d'informatique distribuée, qui évoque de vastes réseaux, pour l'architecture d'un objet qui tient dans la main. Concrètement, le problème se pose comme suit : sous les contraintes que doit respecter un téléphone portable, pour offrir des applications nombreuses et sophistiquées, il faut pouvoir les télécharger. La solution : une machine Java et son environnement de développement pour un DSP (Digital signal processor) sur le circuit embarqué. Vous en trouverez sur le site de l'Irisa une présentation technique.

La mise en oeuvre d'une telle technologie exige une coopération de longue durée entre les équipes de R&D du constructeur et les chercheurs. Les chercheurs ont parfois tendance à penser que ce qu'ils ont développé peut s'étendre, sans effort supplémentaire, à de nouvelles applications. En fait, on s'aperçoit que les nouvelles applications présentent toujours des spécificités. Et d'autant plus, en l'occurrence, que on retrouve les problèmes "classiques" de l'informatique : par rapport aux applications demandées, on manque toujours de mémoire, de puissance de calcul, de bande passante en télécommunications. Il faut donc faire preuve d'ingéniosité. En outre, le multimédia oblige à dissiper beaucoup d'énergie au niveau de l'écran. Il ne suffit donc pas de transférer la technologie à l'industriel. Il faut continuer à faire de la recherche, et l'industriel doit donc s'assurer la coopération de l'équipe qui avait fait prendre conscience de l'intérêt de cette solution. C'est l'esprit du centre de compétences qui vient ainsi de s'ouvrir.

S.H. : Restez-vous en relation avec vos chercheurs qui sont devenus chefs d'entreprise ?

L.K. : Il reste toujours un lien très fort. Un lien affectif d'abord, au niveau des individus, qui restent liés aux copains qu'ils se sont fait dans les laboratoires.

On voit aussi des retours à la recherche après une expérience industrielle. Je pense par exemple à Sophie Cluet, qui a participé à la création de Xylème, et que nous sommes ensuite allés chercher pour prendre la direction de l'unité de recherche de Rocquencourt. Après cet "instant de distance", elle peut parler aux chercheurs avec un autre point de vue.

Un des plus beaux parcours entre recherche et industrie est celui de Jean-François Abramatic. Chercheur à l'Inria, il a créé Gipsi pour concevoir et vendre des terminaux X, vers 1990. L'aventure ne s'est pas très bien terminée, car le marché existait, mais les capacités industrielles en France n'étaient pas appropriées. Il est revenu à l'Inria, comme directeur du développement et des relations industrielles. Puis il a pris la présidence du consortium W3C, alors qu'on voit rarement des Français à la tête de consortiums industriels de cette importance. Il est maintenant chez Ilog.

Garder ces contacts, permettre de tels itinéraires, c'est pour nous le moyen de bien savoir ce qui se passe dans le monde industriel.

S.H. : Comment passe-t-on de l'informatique théorique, votre spécialité d'origine, au développement industriel. Comment vous, qui étiez un spécialiste de la preuve vous êtes vous intéressé aux entreprises ? Pour prouver leur succès ?

L.K. On ne peut jamais administrer la preuve du succès d'une entreprise, car elles sont toujours mortelles. En revanche, on sait très bien faire des preuves sur autopsie, et montrer pourquoi une entreprise est morte ! Ce qui est prouvé, en revanche, c'est que la création d'une entreprise, est aussi difficile et aussi intéressante que la démonstration d'un théorème. C'est une véritable aventure intellectuelle. Deux chercheurs qui s'y sont beaucoup impliqués me l'ont dit avec force.

Je ne suis pas un financier. Je suis un encourageur, un supporteur, un observateur aussi, surtout pour les entreprises où nous avons investi des fonds. J'ai parcouru tous les niveaux de l'enseignement, depuis le Deug jusqu'au DEA, j'ai encadré des thèses. Puis je suis venu à ce qu'on appelle l'administration de la recherche. J'ai dirigé le laboratoire Irisa à Rennes, puis été directeur général adjoint de l'Inria. C'est passionnant de faire vivre un gros laboratoire, puis un organisme qui la dimension et la visibilité de notre institut.

Mon itinéraire montre que la recherche peut mener à des carrières bien différentes. Bien sûr nous sommes tous engagés dans des sociologies, des schémas... mais il n'y a pas une trajectoire unique, ni une qui serait la meilleure dans l'absolu, le top du top. C'est une des qualités, que nous essayons d'ailleurs de mettre en valeur pour montrer l'attractivité de notre Institut. Une carrière de chercheur chez nous peut conduire aussi bien à l'Académie des sciences qu'au management international au plus haut niveau. L'institution est ouverte. Il faut bien entendu que les chercheurs eux-mêmes soient ouverts, ne cèdent pas à la tentation d'une forme d'autisme. La recherche, c'est d'abord un problème de personnes. Il faut parfois des équipements sophistiqués, mais s'il y a un endroit où l'on ne fait rien sans des personnes, c'est bien la recherche.

S'occuper du transfert de technologies, au moment où émerge une économie globale de la connaissance, une société de l'information pose des questions nouvelles. Hier on inscrivait la recherche dans une dimension régalienne, on disait : "La recherche est importante pour notre indépendance, notre Défense nationale". Aujourd'hui l'on dit "C'est très important pour la compétitivité des entreprises, des territoires". Les pessimistes parlent de marchandisation de la recherche. Si l'on est plus optimiste, on comprend que notre rôle de chercheurs a encore plus d'importance, au sens que nous sommes non seulement concernés, mais impliqués par l'évolution du monde d'aujourd'hui. Les chercheurs ne peuvent pas sortir indemnes de la mutation qui se produit en ce moment car elle est due, en grande partie, au formidable développement de l'enseignement supérieur et de la recherche dans les pays développés comme dans les pays émergents.

Bien sûr, je ne trouve pas scandaleux que l'on se plaigne du manque de moyens. Mais il faut se dire que la gestion de ces moyens, et le retour qui est attendu de ce investissement n'a rien à voir à ce qu'on en attendait il y a vingt ans ou cinquante ans. Et l'on ne reviendra pas en arrière.

Propos recueillis par Pierre Berger


Actualité de la semaine

Sauvons la recherche

Gérard Mégie et Bernard Larroutourou, président et directeur général du CNRS, répondent dans Le Monde du 24 mars aux questions de Michel Alberganti : "Le CNRS n'a pas pour mission de tout faire. L'université doit avoir des laboratoires d'excellence".

Nous n'avons pas le texte du projet présenté au Conseil d'administration du CNRS le 25 mars. Jacques Fossey, secrétaire général du SNCS en fait une analyse critique sous le titre "Gégé et Nanar rétrécissent le CNRS".

Séminaire CNAM "Gestion des connaissances"

Organisé par Jean-Claude Rault et le Centre pour la Maîtrise des Systèmes et du Logiciel (CMSL) du Conservatoire National des Arts et Métiers (CNAM) , d’une durée de deux jours, le séminaire "Gestion des connaissances dans les projets d'ingénierie" a analysé l’état actuel de la pratique, en matière de gestion des connaissances dans l’entreprise.

La première journée (mercredi 24 mars ) était consacrée à un tutoriel sur démarches, méthodes et outils aujourd’hui disponibles pour la gestion des connaissances.

La seconde (jeudi 25 mars ) comprenait deux types d’exposés : des descriptions de retours d’expériences sur la mise en pratique de la gestion des connaissances dans différents secteurs professionnels et des analyses critiques de techniques et méthodes en usage. Les interventions de Renault, Legrand, SNCF, Lafarge, Total, Alcatel, 3M, PSA, (Thales étant annulé en dernière minute), ont donné une image suffisamment large de l'état de la gestion des connaissances dans les grandes entreprises, d'autant plus que d'autres grandes entreprises comme le CEA ou la RATP se trouvaient représentées dans la salle et ont pu s'exprimer. Le KM, les réseaux métier, les communautés de pratique, les réseaux d'experts font partie du vocabulaire quotidien de ces sociétés qui utilisent la connaissance pour innover. Une dominante : l'importance du facteur humain si l'on veut capitaliser des savoirs très techniques.

Ardans Consulting & Knowledge Management a pu présenter sa méthode, et Arisem sa suite logicielle sémantique Arisem KM Server. 3M et PSA ont décrit consécutivement de façon stimulante leur utilisation de la méthode Tris via les logiciels d'Invention Machine. Cette "Theory of inventive problem solving" est basée sur l'analyse systématique de millions de brevets et l'approche psychologique des inventeurs. (Voir à ce sujet notre numéro AH No 101 ). Du système expert au KM par induction, Christophe Binot a brossé 20 ans de gestion des connaissances chez Total. La connaissance collective est un actif intangible, a-t-il dit. Les résultats seront encore meilleurs quand les comptables sauront comptabiliser les actifs immatériels (le savoir humain) aussi bien que les actifs matériels.

Mireille Boris  

"Village Design virtuel" au Micad

Le Paris ACM Siggraph et Ars Mathematica (Intersculpt) présenteront l'actualité de la création 3D internationale, au Micad (du 30 mars au 1er avril, Paris Port de Versailles). On peut participer sur place à la galerie virtuelle sur grands écrans plats, aux créations d'oeuvres (performances et démonstrations), à l'Atelier et au concours Digit-Quizz (sculpture à gagner, places d'enrée à l'exposition du Siggraph 2004) et PNY (carte NVidia FX1100).

On peut s'inscrire en ligne (Attention, ne pas remplir la partie facturation car cette inscription est gratuite) ou mettre un courriel à aafatima@birp.fr en précisant vos coordonnées et le numéro de la session à laquelle vous allez participer.

Vide-greniers informatique

(Sous toutes réserves), il se tiendrait le 2 mai, boulevard de Belleville (Paris 19e) un vide-greniers informatique intitulé "troc matique". Une occasion de se débarrasser de tout un tas de matériels et composants qui vous encombrent, mais que peut-être d'autres cherchent désespérément à trouver pour réparer leur machine préférée.

Sur la recherche en France

Aberrahmane Aggoun signale un très bon article sur la recherche en France, page 5 du Cordis Focus numéro 241 du mois de mars 04.


Théories et concepts

Le GHz quitte le devant de la scène

Bien sûr, un concept aussi universel ne disparaît pas. Mais Intel, copiant AMD, promeut désormais une autre mesure de la puissance des microprocesseurs. Selon Le monde informatique.

Menace "zéro jour"

"Un ver informatique qui se répand sur toutes les machines du monde entier si rapidement que personne ne peut réagir ni s'en protéger, faut de correctif disponible", c'est la menace "zéro jour", dont pour l'instant parlent surtout les éditeurs d'antivirus. En attendant, les statistiques confirment ce que chacun peut constater : le monde des ordinateurs fourmille un peu plus chaque mois de virus en tous genres. (Jean-Luc Rognon. Le monde informatique du 26 mars).

Modélisation 3D en open source

Nous avions interviewé dans notre numéro 53 Bruno Lévy, chercheur au sien de l'équipe ISA (informatique graphique et vision artificielle) du Loria (Laboratoire lorrain de recherche informatique et ses applications) et l'Inria Lorraine. Il vient de mette au point la plate-forme Graphite, combinant des résultats récents de recherche scientifique avec des services pour la création d'images. Elle est disponible en open-source sous licence GNU au Loria et à l'Inria

Le Net en plein papyboom

La dernière étude du Pew Internet and American Life Project, une organisation qui étudie l'impact de l'Internet sur la société américaine, montre qu'il y a de plus en plus de personnes âgées utilisant l'Internet. Depuis l'an 2000, le pourcentage des plus de 65 ans naviguant sur la toile a bondi de 47%. Certes les seniors ne représentent encore que 22% de la population en ligne, loin derrière les 30-49 ans (75%). Cependant les spécialistes prévoient une augmentation continue du nombre d'internautes retraités. Tout d'abord parce que, lorsque l'on est connecté, on le reste (les jeunes aujourd'hui "branchés" le seront toujours après leur retraite). Ensuite parce qu'une bonne partie des papys et mamies se mettent à l'Internet poussés par leurs enfants ; ils adoptent notamment le courrier électronique pour rester en contact avec leur famille. Et enfin parce que toutes sortes de clubs et groupes d'informatique se chargent d'initier les personnes âgées. Au final, les éditeurs de sites web privés et institutionnels se montrent de plus en plus intéressés par cette cible de choix et des sections spécialement dédiées commencent à fleurir. D'après le New York Times


La recherche en pratique

Document ministériel sur les EPST

La difusion Paris 7 signale la parution en ligne du document ministériel sur les principaux organismes de recherche - Édition 2004.
Téléchargement en PDF.

Evaluation de l'Inria

L'Inspection générale de l’administration de l’éducation nationale (IGAENR) et l'Inspection générale de l’industrie et du commerce (Igic) ont réalisé une évaluation à mi-parcours du contrat quadriennal de l’Institut national de recherche en informatique et en automatique (Inria), premier établissement scientifique et technique à avoir signé un contrat de quatre ans avec l’État en 1999.

Ce rapport estime que l’institut a suivi "une stratégie claire centrée sur l’objectif de devenir un leader reconnu mondialement en recherche fondamentale" et souligne "la qualité de ses personnels, de ses méthodes, de son système d’évaluation et son attractivité". Il précise "qu'au-delà de ce succès incontestable, l’Inria doit encore amener l’autre défi de sa mission, celui de la valorisation, à un même niveau de réussite internationale." Le rapport(en PDF).
Selon CNRS SG Hebdo


Manifestations

Consultez le site des associations fondatrices de l'Asti, où vous trouverez les manifestations qu'elles organisent.


Le livre de la semaine

Histoire du calcul

Du zéro à l'ordinateur, une brève histoire du calcul. Christian Piguet et Heinz Hügli. Presses polytechniques romandes, 186 pages 29,70 euros.

Ce livre expose de manière claire et progressive la façon dont sont nées les idées qui ont conduit à la réalisation des ordinateurs et des microprocesseurs actuels. Il offre au lecteur les clés lui permettant de mieux comprendre la nature et le fonctionnement de ces machines. Richement illustrée, proposant fils conducteurs et détails de fonctionnemnet, l'histoire exposée dans cet ouvrage intéressera tous ceux et celles curieux de connaître la genèse et l'avènement des ordinateurs. (D'après le communiqué de l'éditeur).


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